ACADÉMIE ROUMAINE
BULLETIN
DE LA SECTION SCIENTIFIQUE
PUBLIÉ PAR LES SOINS DES SECRÉTAIRES DE LA SECTION
MEMBRES DE L’ACADÉMIE ROUMAINE
† ST. C. HEPITES
GR. ANTIPA
DE 1912 À 1919
DE 1919 À 1939
ET
TRAJAN SAVULESCO
SUR LES PHÉNOMÈNES LUMINEUX QUI ONT
ACCOMPAGNÉ LE TREMBLEMENT DE TERRE
DE ROUMANIE DU 10 NOVEMBRE 1940
par
G. DEMETRESCU et G. PETRESCU
Note
présentée par Mr. I. Simionescu (Membre de l’Académie Roumaine) lors
de la séance du 24 janvier 1941
Par suite des nombreux témoignages qui, de différents
côtés nous parlaient de phénomènes
lumineux observés lors du tremblement de terre du 10 novembre 1940, nous
nous sommes
proposés de faire une enquête sur ces phénomènes.
Par la presse et la radio, nous avons adressé à cet
effet un appel au public: nous
demandions aux personnes qui avaient observé de tels phénomènes de bien
vouloir nous
communiquer leurs observations. Plus de 200 observations nous sont
parvenues. Nous en avons
retenu 199.
Nous nous empressons d’exprimer, par cette voie, nos
vifs remerciements à tous ceux qui
ont eu l’obligeance de nous faire tenir leurs observations.
*
* *
PHÉNOMÈNES LUMINEUX OBSERVÉS
Illuminations totales ou partielles du ciel ou de l’atmosphère,
52 observations (26%).
Phénomènes lumineux comparés aux éclairs, 51 (25%).
Étincelles, 8 (4%).
Bandes, raies, arcs lumineux, 34 observations (17% dont 11% horizontales
et 5% passant au zénith).
Globes, taches de lumières, dans la plupart des cas avec jaillissement d’étincelles,
18 observations (9%).
Flammes, embrasements, langues de feu, 31 observations (16%). (*)
Sur cette grande diversité de
phénomènes lumineux 13 (17%) ont été observés jaillissant de terre
de bas en haut, 9 autres (5%) descendant sur terre de haut en bas (globes
surtout).
Quant à la coloration de ces phénomènes lumineux, 42
observateurs (21%) les ont notés rouges, 12
(6%) jaunes,
3 (2%) verts, 16 (8%) d’un blanc bleuâtre et 3 (2%) violets.
Nous croyons devoir faire mention à part des cas suivants:
À Brasov,
une observation signale des étincelles comparables aux éclairs se
dirigeant du pied de la
montagne Tâmpa vers son sommet.
Certains observateurs parlent de flamboiements dans le
rythme des mouvements des sols (villes de Roman, Bacau,
Ploesti).
À Paltineni et Lopatari,
département de Buzau,
on a vu des étincelles sortir des rocs qui
s’écroulaient, des étincelles jaillir également des montagnes non
boisées.
À Baicoi, des feux
intermittents de gaz. À Lopatari
le "feu inextinguible" ("focul nestins")
"projetait des flammes jusqu’aux nuages et illuminait toutes les
montagnes".
À Câmpulung, Muscel, on a vu sur le sol "une couche épaisse
semblable à un gaz translucide".
À Alexandria, "des fouets lumineux d’étoiles filantes"; en
Roumain l’expression de "stele
cazatoare"
désigne bien le phénomène des étoiles filantes, mais peut désigner
aussi bien "des étoiles en
chute".
Des phénomènes lumineux observés à toute proximité,
à Bucarest "des éclairs sortant de
terre"(dans la cour de l’immeuble); à Constantza "trois
lumières ayant la forme d’une assiette, ont
traversé une chambre en se dirigeant vers l’est"; à Fagara s
une flamme de 10 cm d’épaisseur est
sortie du plancher d’une chambre; à Odobesti
"des étincelles pareilles aux feux d’artifices des jeux
d’enfants" ont éclaté le long du câble de liaison à la terre d’un
appareil radio. Les personnes qui
ont observé le phénomène ajoutent n’avoir constaté aucune trace de
brûlures sur les objets avoisinants.
*
* *
À QUEL MOMENT CES PHÉNOMÈNES SE SONT-ILS
PRODUITS?
Neuf (9) personnes seulement disent avoir observé de
pareils phénomènes avant le tremblement de terre,
six (6), après.
Tous nos autres correspondants parlent de phénomènes
vus pendant le
tremblement de terre (184).
*
* *
DIRECTIONS DES MANIFESTATIONS LUMINEUSES
La grande majorité des personnes qui nous ont écrit
fournissent des indications assez précises.
Nous avons donc pu dresser la carte ci-jointe sur laquelle chaque
direction observée est marqué
par un point désignant le lieu d’observation puis d’un petit trait
dirigé vers le point de l’horizon
vers lequel le phénomène a été observé.
Pour certaines localités, plusieurs observateurs
indiquent la même direction. Dans ce cas, le
nombre d’observations indiquant la même direction est noté au bout du
petit trait qui désigne la direction.
L’examen de cette carte nous permet de tirer les
conclusions suivantes:
Les phénomènes lumineux ont été observés sur une grande étendue, 500
km de longueur environ
et 300 km de largeur, soit de Calafat à
Dorohoi, et de Fagaras
à Constantza.
Sur 139 directions observées, 18 seulement (13%) se
dirigent, avec quelque approximation, vers la
région épicentrale (Vrancea). De plus, en faisant abstraction des
localités les plus éloignées
(Dorohoi, Cristesti,
Alexandria, Giurgiu, Rasmiresti,
Peria) le nombre des
directions allant vers
l’épicentre se réduit à 12 (9%).
Toutes les autres observations, au nombre de 120 (87%),
indiquent t out autres directions la
plupart même nettement opposées à l’épicentre.
Cette constatation, si elle se vérifie pour d’autres
tremblements de terre, nous semble avoir assez
d’importance en ce qui concerne l’explication des phénomènes.
Le grand nombre d’observations recueillies semble
mettre hors de doute la réalité du phénomène.
Les lumières observées ne sauraient s’expliquer par une confusion avec
celui des étoiles filantes.
Tout le monde connaît ce dernier phénomène et nos correspondants n’auraient
certes pas manqué
de nous en parler si un tel rapprochement avait été possible. Seul notre
correspondant
d’Alexandria nous parle d’étoiles filantes mais dans des termes
excluant toute confusion "fouets
lumineux d’étoiles filantes", l’expression d’étoiles
filantes, en roumain "stele cazatoare",
pouvant
signifier comme nous l’avons déjà remarqué "étoiles en
chute". Rappelons que la terre a
traversé le groupe des Léonides (étoiles filantes) le 13 et 14
novembre, quelques jours donc après
le tremblement de t erre, lorsque l’effroi n’ayant pas encore faibli,
toute le monde se montrait
encore extrêmement sensible aux moindres manifestations de toute nature.
Or, personne n’a
pourtant rien observé, rien signalé, bien que le groupe des Léonides
fût l’un des plus riches.
C’est pourquoi, en admettant même que certaines des
observations qui nous sont parvenues
pourraient être attribuées aux étoiles filantes, il est hors de doute
que cette explication ne saurait
valoir pour la grande majorité des observations que nous tenons.
Il faut également écarter, dans la grande majorité des cas au moins, la
possibilité d’une explication
par l’éventuelle chute de bolides isolés. En effet, 9 observations
seulement, S nous l’avons
déjà
noté S parlent de lumières
descendant vers le sol et même dans ces cas il s’agissait de mouvement
assez lents et non de vitesses comparables à celle des bolides. D’ailleurs
on n’a pas signalé de
chute de bolides à la date qui nous intéresse.
Faudra-t-il attribuer ces phénomènes lumineux aux
décharges de certains câbles électriques?
De telles décharges ont pu se reproduire dans certains endroits, nous ne
songeons pas à le
contester. Quelques confusions ont pu se produire. Mais il convient de
noter que la majorité de
nos correspondants ont pensé d’eux même à la possibilité d’une
telle explication et ont not é soit
que leurs observations avaient été faites au moment où les usines
avaient interrompu le courant
électrique, soit dans des directions où il n’y avait point d’installations
électriques. La durée des
lumières observées, nous écrit-on encore, bien souvent " a
dépassé celle des décharges
électriques".
Des éclairs auraient pu aussi être pris pour de
pareilles manifestations lumineuses. Mais, si les
descriptions données par de nombreuses lettres trouvent une ressemblance
avec les éclairs, elles
insistent pourtant pour démontrer qu’il ne saurait s’agir d’éclairs
proprement dits, la durée,
beaucoup plus grande des phénomènes observées, les dimensions des
étincelles et leur vitesse
beaucoup plus faible constituant des éléments essentiels de
dissemblance.
Enfin, si les globes observés pourraient se confondre
avec des éclairs globulaires, la possibilité
d’une autre explication ne nous parait point exclue.
S’agirait-il d’émanations de gaz incandescents?
Sûrement dans certains endroits. On nous en a signalé
à Baicoi et Lopatari.
Trois lettres parlent de lumières qui sortaient du sol,
à proximité même de l’observateur, à
l’intérieur même des maisons, sans pourtant laisser nulle trace de
brûlure. Nous ne contestons pas
la possibilité d’illusions produites par l’effroi, mais nous nous
demandons s’il est juste de tout
expliquer par l’effroi.
Rappelons aussi les observations d’étincelles
produites par l’éboulement des rocs, à Lopatari
et à
Paltineni,
pour démontrer la justesse de certaines observations.
*
* *
En résumé, on ne saurait, selon nous, contester la
réalité du phénomène. Il s’est montré sous
différents aspects, illuminations du ciel, totales ou partielles,
illuminations du sol, étincelles plus ou
moins grandes, bandes lumineuses, colorations diverses de toutes ces
apparitions avec
prédominance du rouge. Le phénomène s’est produit à différents
endroits, sur une étendue large
d’au moins 300 km et longue de plus de 500 km.
Enfin, nous croyons devoir signaler particulièrement
le fait que la grande majorité des
observateurs (87%) ont vu ces phénomènes dans des directions toutes
différentes de celle de
l’épicentre, la plupart même en direction nettement opposée.
(* L’article
original donnait un pourcentage de 10%.. Cette valeur est erroné e car 31
sur 199 donne environ 16%..
Il s’agit
probablement d’une erreur de transcription.)
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